Aujourd’hui, il est assez difficile de définir une entreprise française dans le contexte actuel d’économie mondialisée. Les composants étrangers sont présents dans quasiment toutes les mailles de la chaîne de valeurs. Face aux ambitions des Chinois, à l’extraterritorialité du droit américain ou encore l’impact des cyberattaques, la donne a changé depuis bien longtemps. Plusieurs indicateurs démontrent clairement l’urgence de la situation. Découvrez dans cet article en quoi la souveraineté des services et industries françaises est d’une nécessité capitale pour défendre l’indépendance économique de la France.
Historique du poids du secteur de l’industrie dans l’économie nationale
D’après les chiffres d’Eurostat et de l’INSEE, le poids de l’industrie manufacturière dans le PIB en termes de valeur ajoutée a considérablement chuté depuis 1990. Concrètement, il était de 17,6 % en 90 avant de passer à 14,1 % en 2000 et à 10,9 % en 2008, puis à 10,2 % en 2016.
Si l’on y ajoute le poids de l’industrie extractive, le traitement des déchets et de l’eau, le poids de l’industrie en général ne représente que 12 % du PIB. En moins d’une trentaine d’années, on peut constater qu’il y a eu une baisse vertigineuse du poids des industries et services dans l’économie. Pendant ce temps, les concurrents régionaux et internationaux ont un coup d’avance.
Comparaison de la situation actuelle à celle des concurrents
Lorsqu’on fait un rapprochement des chiffres, on se rend compte à quel point la situation est alarmante. En Allemagne, l’apport en valeur ajoutée des services et des industries dans le PIB s’élève à plus de 20,6 %. Même l’Italie et l’Espagne font mieux que la France. Les chiffres chez eux sont respectivement d’environ 14,6 % et 12,8 %. À l’échelle européenne, la France représente environ 10,6 % de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière dans le PIB. Pendant ce temps, l’Italie représente 11,4 % et l’Allemagne se rapproche du tiers (30,3 %).
Qu’est-ce qui explique le retard du secteur industriel français ?
Il y a quelques dizaines d’années, la France occupait une grande place en tant que terre agricole. Cependant, sa révolution industrielle ne fut que tardive. Elle s’amorça sous Napoléon III, bien après que la Grande-Bretagne et l’Allemagne aient pris les devants.
Avec la concurrence déjà en place, la France dut relâcher son effort, parce qu’elle devait aussi s’occuper de son empire colonial. En effet, une partie des élites françaises a dû s’expatrier pour former des colonies efficaces. Seulement, cela se fit au détriment du développement industriel national.
Après la Deuxième Guerre mondiale, il fallait remonter la pente. La France fit alors de l’industrie un impératif en nourrissant encore et encore le capitalisme français. Les industriels se faisaient accompagner par l’État (financement de grands projets dans l’aéronautique, les chemins de fer, la défense…) à condition qu’ils créent de la valeur ajoutée.
Ensuite, les nationalisations et les privatisations des grands groupes sont venues casser la cadence. Dans le même temps, le monde anglo-saxon démarrait déjà sa vague néolibérale en imposant des règles strictes de libre-échange qui ne feront qu’asphyxier le modèle français.
Les conséquences de la baisse du poids des industries et services
Les services et l’industrie en particulier représentent le pilier de toutes les grandes économies. La baisse du poids des services et industries dans l’économie nationale française a un impact à l’interne, mais aussi à l’externe. En pratique, cela entraîne une diminution constante de l’emploi salarié.
De plus, ce sont les industries en France qui assurent la plus grande partie des dépenses en R&D (recherche et développement). Il est donc logique que si leur poids diminue, le poids de la R&D suive également le rythme. C’est exactement ce qui se passe depuis plus de 20 ans aujourd’hui. Ce facteur fait partie des éléments qui expliquent la régression de la France sur l’échiquier international.
Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que depuis 2003, l’effondrement des services et de l’industrie française a entraîné un déficit du commerce extérieur. Il y a quelques années (2007), le déficit de la balance commerciale enregistré par le pays s’élevait à 63 milliards d’euros. C’est un véritable drame puisqu’une balance commerciale déficitaire est synonyme de perte de richesse. La conséquence logique est que les parts de marché français au niveau mondial sont en baisse.
La France sur un marché pris en sandwich entre Pékin et Washington
La Chine a réuni des réserves de plus de 4000 milliards de dollars rien qu’en se basant sur ses excédents commerciaux. Avec sa marge de manœuvre, Pékin veut reprendre sa place de leader (comme c’était le cas au 17e siècle) en prenant les parts du marché mondial et en menant une politique économique capitaliste et nationaliste.
De son côté, Washington mise sur l’extraterritorialité du droit américain pour écarter la concurrence ou tout au moins l’affaiblir. Grâce à cette arme, les USA se réservent le droit de poursuivre les firmes non américaines à l’étranger. Les Français comme Technip, Alstom ou encore Total en ont fait les frais. Aujourd’hui, lorsqu’on y ajoute la réforme fiscale voulue par Trump, c’est près de 2000 milliards de dollars qui sont en passe d’être rapatriés en Amérique, de quoi avoir de la latitude pour investir.
Dans un tel contexte, la France, et l’Europe en général, se doivent de créer de puissants groupes indépendants des forces américaines. Elle doit mieux se protéger contre les investisseurs étrangers. L’enjeu est de pouvoir recouvrer une certaine souveraineté française en matière de services et d’industrie.
À la recherche d’une souveraineté des services et des industries françaises
Pour sortir son épingle du jeu, la France doit se poser les bonnes questions. Une industrie est-elle française par le lieu d’implantation de son siège social, la nationalité de ses dirigeants, le paiement des impôts dans l’Hexagone, le fait d’avoir une emprise incontestable ou des employés dans ladite industrie ? Il faut définir clairement les axes à retravailler pour atteindre l’objectif de souveraineté économique qui s’impose.
Les orientations immédiates
La France doit diminuer la dépendance qu’elle a développée sur les dernières décennies envers les investisseurs étrangers. Il lui faut retrouver les prérequis dont elle disposait pour pouvoir alimenter avec efficacité sa souveraineté. Dans l’immédiat, il faut :
- Cartographier ce qu’il faut au pays pour subvenir aux besoins de l’industrie numérique (infrastructures, logiciels, plateformes, services…) ;
- Utiliser des acteurs français et européens du numérique dans tout le secteur public, pour l’éducation, la santé et évidemment les OIV (Organismes d’Intérêts Vitaux) ;
- Accompagner les réformes avec une fiscalité qui favorise les investissements et les engagements pour le numérique souverain.
Il est impératif de réorienter les capitaux vers les nouvelles technologies et le Cloud, les services et l’industrie, avec des systèmes bien pensés pour donner un coup de pouce aux start-ups. Cette souveraineté des services et des industries françaises ne peut s’établir sans tenir compte du Cloud et plus généralement des nouvelles technologies qui sont omniprésentes.
Par exemple, accompagner les experts français du numérique est une solution qui peut permettre de lutter contre l’accroissement de l’espionnage visant la France, qu’il vienne de la Russie, de la Chine ou des pays plus proches tels qu’Israël et les États-Unis.